L’ordre des architectes lance une réflexion sur le thème « les architectes et le dumping ». Comprenez les tarifs anormalement bas pratiqués par certains architectes ou maitres d’œuvre. Un débat se tiendra vendredi 16 mai à 14h à Clermont, dans les locaux du Conseil Régional de l’Ordre des Architectes (CROA comme disait Nougaro).
En lisant l’appel à contribution du CROA, écrit par je ne sais qui avec des larmes plein la plume, j’ai eu envie de leur dire : « arrêtez de pleurer, posez vous les bonnes questions et retrouvez donc l’âme de votre métier ».
Voilà notamment ce qui me fait réagir dans ce texte :
"les architectes se tirent une balle dans le pied" (avec ces prix trop bas)
ce serait plutôt une balle dans le cœur (du métier). Si c'était dans le pied, ils pourraient encore marcher avec l'autre pied. Hors aujourd'hui ça ne marche plus. Les architectes n’architecturent pas, ils bricolent. Ils assemblent des morceaux nommés « composants du bâtiment ». Ils suivent les solutions clés en mains. Ils se détournent de la santé, du paysage, de la cohérence. Ils perdent leur âme parce que garder notre âme, ou en donner à nos projets, ce n'est plus possible. Ou très très difficile. Face à tant d’inepties réglementaires, de paresse juridique, d’absurdités administratives, d’incurie générale de la branche... un architecte qui renonce à la cohérence de son projet s'enlève bien des soucis. Et se tire une balle dans le cœur. Aime-t-il encore l'architecture… hors mis la sienne... et encore…
"la profession se paupérise"
C'est vrai. Et c'est parce qu'elle ne se pose pas la question de la valeur de son travail. Au fond, les architectes sont assez ignorants de la valeur de ce qu'ils font, de ce qu'ils peuvent apporter de la puissance de leur création. Non pour dominer mais pour durer, réconforter, servir, émouvoir... Les architectes ont souvent un tempérament peu matérialiste (même si on trouve même pas mal de bling-bling parmi eux surtout dans les grandes villes). C’est une profession qui mouline une quantité de paramètres hallucinante, faisant appel à des domaines de compétences hyper variés dont beaucoup dépasse le strict champ de notre expertise. On court souvent sans réfléchir. Mais nous aurions grand intérêt à prendre le temps de nous introspecter là, en 2014 (deux barbarismes, deux !)
"les architectes proposent des rémunérations en deçà des montants provisionnés par les maitres d'ouvrage"
Et alors? Ce n’est pas la question ! La question est "quelle est la valeur du travail de l'architecte?". Pour la calculer, il faut la décrire, la détailler, l'expliciter, évaluer les risques, les responsabilités, les implications...
Jeter aussi un œil sur d'autres pays... tiens tiens..? Pourquoi les archis français sont parmi les moins chers d’Europe ? Que font les autres ? Quel écart reste-t-il après ça?...
A la fin de cette démarche, on fait le bilan et on déduit des valeurs minimales du réel et plein exercice du métier d'architecte.
« Quelle action mener pour lutter contre le dumping ? »
Une fois qu’on a précisé la prestation de l’architecte et sa valeur minimale, on les fait entériner par le Conseil National de l'Ordre des Architectes. Puis on prend RV avec la Mutuelle des Architectes Français (90% de parts de marchés) pour passer un deal : les architectes qui travaillent au-dessous des valeurs seuils adoptées ne sont plus couverts. Il est dans l'intérêt de l'assureur d'éviter d'avoir des chèvres dans son portefeuille. Dans l'intérêt du client d'avoir un architecte assuré en bonne et due forme.
On fait la même démarche avec les assureurs des clients (Dommages Ouvrage) qui ont eux aussi intérêt à réduire les sinistres. On ne couvre plus les chantiers en DO quand les honoraires sont inférieurs à ces valeurs.
Une fois d’accord sur ce point, les architectes et les assureurs vont à la rencontre du politique. Ils expliquent comment ils proposent de réguler ce problème… et demandent en échange de légiférer pour confier aux architectes un rôle plein dès le 1er mètre carré construit. Et demande de fournir un cadre pour une réelle indépendance vis à vis des entreprises et des industriels.
Alexis Monjauze, 24 avril 2014